Deux années de perdues à tergiverser et à supprimer des dispositions prises par l’ancien gouvernement pour y revenir au final (la suppression de la clause générale de compétence pour les départements), voilà le bilan que l’on peut dresser de la reforme territoriale proposée par le Président de la République.
Cet attentisme, cette non-décision et cette politique brouillonne se traduisent aujourd’hui par une réforme menée tambour battant et empreinte d’une forte dose de jacobinisme. Il est tout de même paradoxal qu’une telle réforme soit décidée de Paris, dans le bureau même du Président alors que la décentralisation consiste précisément à donner davantage de pouvoirs aux territoires et aux citoyens.
A cela sans doute plusieurs raisons, dont le poids des conservatismes (des élus, en particulier), le paysage politique français déliquescent, la volonté d’éviter toute revendication identitaire dans l’immédiat, des soupçons de copinage pour le découpage de certaines régions mais par-dessus tout un combat contre le temps : il ne reste que trois ans pour que la réforme soit irréversible et ne puisse pas – ou difficilement – être remise en cause par le prochain locataire du Palais de l’Elysée en 2017.
C’est pourquoi, l’urgence est de figer les choses en imposant une réforme régionale en 2014 et une réforme de l’intercommunalité en 2017, le conseil général tombant alors comme un fruit mûr en 2020.
L’intercommunalité au cœur du débat
Dans un pays apaisé avec du personnel et des partis politiques intelligents et des citoyens informés du fonctionnement de leurs collectivités territoriales, le déroulement de cette réforme aurait commencé par la restructuration de l’intercommunalité et la redéfinition du rôle des communes qui les composent.
Aujourd’hui, c’est peu de dire que certaines intercommunalités sont souvent faites de bric et de broc, souvent sur la base du copinage et de l’entre-soi et des élus et non sur la base d’un projet de territoire cohérent avec les données sociologiques et géographiques. Les habitants de ces territoires croupions, non viables, qui ne survivent que grâce aux subventions du Conseil Général ou de l’Etat sont sommés d’adhérer les yeux fermés au système décidé par leurs élus qui ne veulent surtout pas perdre leur mandat en se mariant avec les voisins.
C’est exactement ce qui s’est passé en 2010 suite à la refonte de la carte territoriale décidée par le gouvernement Sarkozy et managée par les Préfets au niveau des départements. Cette refonte s’est terminée en eau de boudin au nom précisément de considération politiques ou personnelles et les seuls aménagements décidés n’ont été effectif qu’au 1er janvier 2014 pour pouvoir préserver les mandats d’élus concernés jusqu’à leur terme : cela en dit long sur les motivations profonde des élus, moins intéressés par la gestion de leurs commune et la proximité avec leurs citoyens que par une « promotion » dans le corps professionnel des élus et « l’aura » conférée par une fonction intercommunale.
Déjà, on entend les réactions du lobby des élus locaux qui hurlent au passage en force, au manque de consultation et nous prévoient l’apocalypse, face à la décision de F. Hollande et de son gouvernement de mettre un seuil minimum de 20000 habitants pour les futures intercommunalités.
On peut certainement critiquer la brutalité de la mesure, cependant ce qui s’est passé en 2010 concernant la refonte de la carte de l’intercommunalité nous en dit beaucoup sur la résistance d’élus locaux qui ont totalement vidé de son contenu la réforme Sarkozy de 2010 et l’on en viendrait presque à accepter cette méthode brutale de Hollande, si ce n’était le manque de consultation et d’implication des citoyens, laissés pour compte.
Intercommunalité et Régions
Au final, la bonne réforme de l’intercommunalité serait celle qui prendrait en compte les bassins de vie, c'est-à-dire celle dans lesquelles on tiendrait compte des bassins d’emploi et dans lesquelles l’urbanisation, les transports collectifs, l’implantation des surfaces commerciales,… seraient en adéquation avec ces données et les attentes de citoyens. C’est le rôle que jouent actuellement les Pays au travers des SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale). Le seuil minimum de 20000 habitants pourrait conduire à cela.
C’est sur cette base que peut se construire un dispositif décentralisé cohérent reposant sur le binôme Intercommunalité- Régions, les intercos étant les relais naturel des régions pour tout ce qui concerne l’aménagement, le développement des territoires et l’économie et les communes étant en charge de tout ce qui concerne la proximité et le lien social avec les habitants.
Des intercommunalités élargies travaillant avec les régions au développement des territoires impliqueraient enfin la disparition des Conseils Généraux devenus inutiles et dont les compétences auraient alors été réparties entre ces deux entités.
Un goût amer
Voilà le processus progressif qui aurait dû être mis en place si le Président de la République n’avait pas perdu les deux premières années de son mandat, si la classe politique dans son ensemble avait été intelligente et n’avait pas cherché à préserver ses avantages acquis et si les citoyens avaient été associés au processus après avoir été informés complètement sur le fonctionnement du système, ses lourdeurs, ses incohérences et son coût.
Reste que le citoyen n’aura, a aucun moment, pu donner son avis, sauf sur des aspects mineurs tels que l’implantation des sièges des Régions et leurs noms futurs. C’est dire si les médias, à la recherche de sensationnel et de débats périphériques à défaut d’avoir des journalistes faisant leur travail, auront failli à leur tâche d’informer.
C’est bien ce déficit démocratique qui laisse un goût amer.